Par Jean-François Venne
Justice climatique, droits de la nature, écocide… Devant l’inertie des dirigeants politiques à protéger adéquatement l’environnement, de plus en plus de citoyens et d’activistes s’en remettent aux tribunaux.
En décembre 2019, la Cour suprême des Pays-Bas a ordonné au gouvernement du pas de réduire, un an plus tard, ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’au moins 25 % sous le niveau de 1990. Elle a ainsi donné raison à la Fondation Urgenda et aux 900 citoyens néerlandais qui dénonçaient l’inaction climatique de leur gouvernement. Des poursuites similaires ont été intentées aux États-Unis, en France, en Norvège et ailleurs dans le monde.
«La crise climatique représente un enjeu de justice intergénérationnelle et menace nos droits les plus fondamentaux, soutient Catherine Gauthier, directrice générale de l’organisme d’éducation environnementale québécois ENvironnement JEUnesse (ENJEU). Le recours aux tribunaux devient une voie intéressante lorsque les États ne protègent pas adéquatement ces droits.»
L’organisme qu’elle dirige a déposé un recours collectif contre le gouvernement canadien en novembre 2018, au nom de tous les jeunes Québécois âgés de 35 ans et moins. Il allègue que les objectifs trop timorés de réduction de GES du Canada briment plusieurs droits fondamentaux des jeunes, dont le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, ainsi que le droit à un environnement sain, respectueux de la biodiversité et le droit à l’égalité.
«En juillet 2019, la Cour supérieure du Québec a rejeté notre demande d’action collective, mais nous avons interjeté appel», explique Catherine Gauthier. Le juge a estimé trop arbitraire l’âge limite retenu par ENJEU et critiqué l’inclusion des mineurs dans la poursuite. Par contre, il a reconnu que la question des changements climatiques et de ses impacts sur les droits fondamentaux pouvait faire l’objet d’un recours devant les tribunaux.
Un nouveau crime
«Ces poursuites en justice climatique s’inscrivent dans le cadre du droit existant, mais d’autres combats visent à créer du nouveau droit, en reconnaissant le crime d’écocide ou en accordant une personnalité juridique à la nature», précise Me Julia Thibord, avocate au cabinet Vigo, à Paris.
Elle-même milite pour l’introduction du crime d’écocide dans le droit, notamment dans le statut de Rome, qui est le traité fondateur de la Cour pénale internationale. Cela permettrait de condamner les auteurs de destructions de l’environnement au même titre qu’on le fait aujourd’hui avec les auteurs de crimes contre l’humanité. «Présentement, des dévastations massives de l’environnement se produisent en toute impunité ou sont passibles d’amendes dont les montants restent bien inférieurs aux profits générés par ces destructions, affirme-t-elle. Nous devons combler cette lacune inexcusable dans le droit.»
La notion d’écocide s’inspire du crime de génocide, mais avec une distinction importante. «Pour qu’il y ait génocide, il faut prouver une intention de détruire une population, rappelle Me Thibord. Dans le cas de l’écocide, un certain consensus existe autour de l’idée que l’on ne peut exiger cette preuve d’intention. C’est plutôt un crime de conséquence». Une minière qui dévasterait un cours d’eau, par exemple, ne pourrait donc pas s’en tirer en affirmant qu’elle n’avait pas l’intention de polluer, mais simplement d’extraire du minerai.